Portrait #3(2) Célia
- CamilleEtPaul
- 6 janv. 2020
- 8 min de lecture
C’est reparti pour un portrait, et oui désolée, encore un portrait de blanc. Mais il y a peu de personnes qui partagent autant notre quotidien que Sully et Célia, avec qui nous sommes colocataires depuis septembre et pour l’année 2020. Co-volontaires et colocataires, certes, mais avant tout amis. Ils sont nos frères et sœurs de Côte d'Ivoire, vous savez, de ceux qu'on ne choisit pas, qu'on aime à la folie et qui nous font grandir... Ils sont en couple, ils sont charmants, vous les avez déjà croisés par-ci par-là dans nos articles et ils ont choisi de faire 2 interviews distinctes.
Et ...[roulements de tambours]... voici donc Célia !
Célia, c'est une jeune femme en apparence plus posée et discrète que son homme mais en fait avec un caractère tout aussi trempé. (On en connaît d’autres des comme ça mais on ne nommera personne…). Elle est dynamique et, Ô joie !, aime beaucoup cuisiner. Heureusement pour les membres de la coloc, elle cuisine bien et elle et Paul (cuisinier officiel du couple Roginski, au grand dam des ivoiriens) s'échangent leurs trucs régulièrement, pour le réjouissement de nos papilles. Célia est également présentatrice JT à ses heures perdues : son plaisir de se tenir au courant des événements locaux et moins locaux permet, pour tout le monde, des mises à jour régulières sur les actualités mondiales.
C'est parti pour un petite tour du côté de... Ah bah non vous allez bien voir.

Présentation
Comment tu t'appelles ? Quel âge as-tu ?
Je m’appelle Célia, j'ai 27 ans.
Tu viens d’où ?
De Reims, enfin à côté, Epernay. C’est pas très étudiant, Reims c’est pas très animé donc la plupart des étudiants partent à Lille ou Paris. J’y ai mes amis et ma famille, j’aime bien y retourner, voir mes vignes (grand sourire).
Combien de frères et sœurs tu as ?
J’ai un grand frère, on a 6 ans d’écart. Je trouve ça cool d'avoir un grand frère. Après, avec 6 ans d’écart, je voulais toujours un peu faire ce qu’il faisait mais je pouvais pas. J’étais au collège quand il est parti de la maison mais le côté cool c’est que de mon côté j’ai grandi. A partir du bac, ça a été l’année décisive où on s’est rapprochés. C’est lui qui m’a complètement remise sur le chemin de la Foi, c’est lui mon parrain de confirmation.
Il fait quoi dans la vie ?
Il est prêtre spiritain. Il est en mission actuellement à Madagascar, depuis décembre 2018, ça fait déjà un an !
Comme je m’étais un peu éloignée de la Foi, quand il nous a annoncé qu’il réfléchissait à être prêtre, j’étais en pleine crise d’ado. Pour ma mère, qui espérait être grand-mère, c’était difficile aussi. Après, il a cheminé, accompagné. Nous, au niveau familial, on peut pas dire qu’on l’ait soutenu mais quand il est rentré au séminaire, on l’a vu complètement épanoui et là ça a tout changé. Aujourd’hui c’est une fierté pour moi !
Après, il y a eu encore un autre pas, celui de partir avec les spiritains : il a découvert que sa vocation n’était pas de rester en diocèse mais plus de partir aider les plus pauvres et voyager. Ça a pas été facile non plus mais quand on sait que c’est son chemin, qu’il s’y épanoui, ben c’est beau. Mes parents y sont allés et m’ont dit « il est malgache en fait », comme quoi il s’y retrouve vraiment. Et puis ça donne des occasions de voyage, Madagascar c’est une belle île.
Quel est ton plus grand rêve ?
Je pense que, de manière très utopique, c’est qu’on soit tous solidaires les uns des autres. Qu'on s’arrête pas à des préjugés, à nos angoisses, je sais pas, à plein de choses qui pourraient nous freiner à être solidaires et respectueux les uns des autres.
De manière pas utopique… Ah c’est dur… [réflexion] bah en fait j’ai envie de croire que le 1er est pas utopique. Que la femme et l’homme se respectent. Pas forcément à égalité mais dans le respect mutuel, et que chacun trouve sa place, sa vraie place dans la société. J’ai envie de croire que je connaîtrais ça, que c'est pas juste utopique.
Qu’est-ce que tu aimes le plus manger ?
Des magrets de canard avec des petites pommes au four. Et du fromage, parce que c’est la vie. [La grande tristesse de ce Noël : la perte des 6 magrets de canard apportés par la famille, pourris dans des valises perdues temporairement par la compagnie... Nous, ivoiriens depuis plus d'un an, sommes toujours en deuil.]
Qu’est-ce que tu détestes manger ?
Les choux de Bruxelles, les salsifis et c’est tout. Je suis pas embêtée ici [rires]
Quelle est ta plus grande tristesse ?
Hum ! Ma plus grande tristesse c’est d’être en 2019 et de voir des jeunes filles, 10, 13, 16 ans enceintes, mariées et du coup des enfants généralement orphelins ou alors personne ne survit, ni le bébé ni la mère…
C’est quelque chose dont tu avais conscience avant la CI ?
Je savais que ça existait mais le voir de ses propres yeux... Je pouvais même pas imaginer ce que ça me ferait de voir ça ici en Afrique. On n’est jamais prête à ça. Donc non je pense que j’en avais pas conscience, de leur situation, de leurs vies brisées, de devoir assumer un rôle de mère alors que normalement elles devraient aller à l’école (quand elles ont survécu). Non je n’avais pas conscience de cette réalité.

Volontariat et Côte d'Ivoire
Qu'est-ce qui t'as amené au volontariat ?
Clairement, c’est mon voyage à Mada[gascar] pour aller voir mon frère. Là, à 17 ans, je me suis pris une énorme claque. Mada c’est un des pays les plus pauvres, moi mes préoccupations c’était mes amies et mon bac. Tu ouvres les yeux sur une réalité complètement inconnue. Ça m’avait tellement bouleversé ce voyage qu’en rentrant c’était une certitude que je repartirais en volontariat. Du coup, avec la communauté de mon frère, je suis partie un mois en Tanzanie.. C’est là qu’on s’est rencontrés avec Sully et quand on est deux à partir c’est encore mieux. Alors on a terminé nos études, on a travaillé un peu et on est partis.
Tu penses que ta vie aurait été différente sans ce premier voyage ?
Je pense que oui. J’aurais pas eu cette prise de conscience, cette ouverture de vie. Regarde autour de toi, t’as ta belle vie en France, tu peux aller à l’école, tu peux te créer l’avenir que tu veux. Il y aura des obstacles mais tu peux les surmonter… Sans cette prise de conscience, je pense que j’aurai pas eu cette maturité, ouai ma vie n’aurait pas été la même.
C’est quoi l’expression ? Les voyages forment les jeunesse, oui mais c’est pas juste ça, Les voyages c’est comme une expérience de vie. Tu t’enrichis, tu t’ouvres, t’apprends des autres.
Que fais-tu dans la vie ?
En France, je travaillais dans les ressources humaines, dans le recrutement. C’était cool, j’avais une super boîte, des supers bon collègues et une bonne ambiance. De bonnes valeurs. Mais aujourd’hui en rentrant (dans 1 an) j’appelle plus à travailler dans une entreprise d’économie solidaire tu vois, plus dans l’humain, un truc qu’a du sens en tout cas. Le boulot d’avant ça manquait de sens pour moi, parce que même si y avait des volets développement et environnement dans la boîte, mon boulot manquait de sens pour moi, mais après 2 ans en Afrique, j’ai envie que mon boulot ait du sens, pas qu’à moitié.
Maintenant tout de suite, je suis volontaire DCC pour l’association Claire Amitié de Bouaké. C’est une asso qui aide les jeunes filles déscolarisées ou non scolarisées, un peu l’école de la 2nde chance pour elles, pour retrouver un métier (coiffure, couture, pâtisserie). Donc j’accompagne la directrice, les filles et les monitrices, ça m’éclate.
Qu’est-ce qui est le plus important pour toi dans la vie ?
Hum. D’être entourée des gens que j’aime, de m’épanouir grâce à eux et avec eux. Et puis ce qui est important c’est d’essayer de faire le bien autour de soi. Transmettre de belles valeurs.
Tu en as l’occasion, tu penses ?
Oui je pense, avec les filles ici, de les aider à trouver une place dans la société. En tant que femme c’est pas facile en Afrique, qu’elles se respectent elles-mêmes, c’est pas facile non plus, qu’elles s’épanouissent… A Claire Amitié, on leur permet d’aborder plein de sujets : la famille, la sexualité, plein de sujets pour les aider à grandir, des sujets qu’on n'aborde pas en famille ici. Il y a aussi un accompagnement personnel : chaque monitrice a 3-4 filles en charge, à suivre. Elles sont souvent un peu perdues, elles se cherchent donc on essaye de répondre à leurs attentes, leurs questions, leurs doutes…
Qu’est-ce que tu aimes en Côte d’Ivoire ?
Aller au maquis, manger un bon poulet braisé avec de l’attiéké et une bonne Ivoire bien glacée.
Cette ambiance de rue, de convivialité où t’as de la musique même si t’aimes pas le zouglou. C’est l’animation de la rue qu’est là, qu’est simple et tu te prends pas la tête. A la bonne franquette comme on dirait chez nous.
Qu’est-ce que tu n’aimes pas en Côte d’Ivoire ?
Hum… Spécifique à la Côte d’Ivoire… Y a trop de choses [rires]
Tout prend trop de temps, chaque décision est longue, et le temps que ça se mette en place. Le manque de moyens, financiers. Tout est lent même quand il y a des urgences, c’est très frustrant.
La répartition des richesses. C’est pas propre malheureusement à la Côte d’Ivoire mais y a Abidjan et y a le reste de la Côte d’Ivoire.
Ce que j’aime pas aussi c’est la place de la femme en Côte d’Ivoire. Elle est dans son foyer, sa 1ère mission c’est de s’occuper de son mari, de ses enfants, de tout en fait. Ses projets à elle sont complètement effacés pour le bien-être... surtout du mari.
Ça fait quoi 1 an dans un pays où la femme occupe cette place ?
C’est dur. C’est une réalité qu’est triste et c’est pour ça que j’aurais refusé de partir au Moyen-Orient ou au Margheb, où on a l’impression (même si je ne connais pas vraiment) que la femme est encore moins considérée.
Mais même si cette réalité est dure à accepter, en discutant avec plein de femmes, ça m’a quand même appris que tout n’est pas sombre. Il y a toute une hiérarchie qui est là, une société qui est construite de cette manière. Et de voir aussi que les mentalités commencent à changer, dans certains foyers, se dire qu’un petit garçon, sa maman va pouvoir lui demander d’aider dans les tâches quotidiennes de la maison... et ça c’est déjà un grand pas ici ! Je pense que petit à petit les mentalités changent et la femme, qui a déjà le rôle le plus important (tu enlèves les femmes, ici le pays ne marchent plus, elles tiennent aussi une grande partie de l’économie) trouvera une place encore meilleure. Inch Allah !

La conclusion
Ça fait quoi de vivre en coloc avec Camille et Paul ?
Bah franchement c’est vraiment cool parce que c’est vrai que même si on était en couple, on n’était que 2 à Odienné, c’était pas toujours facile. Et avec le recul, faire une 2e année solo (juste les 2) où le manque de la famille et des proches grandit... Arf. Même si notre mission était cool, je pense que c’est toujours une richesse d’être ensemble, on apprend des autres. Et on a aussi cette expérience déjà d’1 an en Côte d’Ivoire qui fait qu’on ne reste pas qu’entre nous, on a un cercle d’amis ivoiriens qui est là, on continue à faire de belles rencontres, à s’émerveiller et critiquer ce pays mais on le fait ensemble et dans l’humour alors c’est cool. Y a un réel soutien, c’est cool.
Si tu devais partir toute seul sur une île pour toujours avec seulement 3 choses (non vivantes), tu prendrais quoi ?
Ah pas vivante, zut je voulais prendre mon hamster…
Je prendrais ma gourde, un couteau et une photo de ma famille. Parce que je kiffe ma gourde, un couteau bah c’est la vie sur une île déserte et une photo de ma famille pour les avoir auprès de moi-même si ils sont pas là, pour garder le souvenir, si je suis toute seule… Garder un lien avec la réalité d’avant. Comme Vendredi.
Y a-t-il quelque chose que tu veux dire en plus ?
J’espère que cette année 2020 sera… J’espère que la paix régnera en Côte d’Ivoire pour 2020, sinon les conséquences seront trop désastreuses pour la population.

C'est super de vous lire, de notre confinement chalonnais. Aujourd'hui nous avons marché 1 heure avec Thierry dans les rues désertes, histoire de se réhabituer au monde de dehors ! Un confinement à 4 familial avec des apéros Skype, ping-pong et gym dans le salon. Dehors les ambulances passent à l'hôpital, c'est stressant. On n'a pas quitté la maison depuis le 19 mars mais on a de la chance. Merci d'avoir présenté Sully quand on fera une quiche lorraine j'aurai une pensée pour lui et Celia qui est une compatriote sparnacienne. On voit bien les vignes dont elle parle car on a habité et travaillé à Epernay. Le groupe de scouts Sgdf de Colas est jumelé avec eux. C'est beau…