Portrait #3(1) Sully
- CamilleEtPaul
- 6 janv. 2020
- 9 min de lecture
C’est reparti pour un portrait, et oui désolée, encore un portrait de blanc. Mais il y a peu de personnes qui partagent autant notre quotidien que Sully et Célia, avec qui nous sommes colocataires depuis septembre et pour l’année 2020. Co-volontaires et colocataires, certes, mais avant tout amis. Ils sont nos frères et sœurs de Côte d'Ivoire, vous savez, de ceux qu'on ne choisit pas, qu'on aime à la folie et qui nous font grandir... Ils sont en couple, ils sont charmants, vous les avez déjà croisés par-ci par-là dans nos articles et ils ont choisi de faire 2 interviews distinctes.
Allons donc avec Sully ou Syllus ou encore Silure, Soully… Les africains ont beaucoup de mal avec son prénom, il a donc appris à répondre à un nombre de pseudonymes assez élevé. Sully est un charmant jeune homme qui adoOore les chiens. Et d’ailleurs, il a un côté un peu bouledogue : plutôt nerveux de base mais quand on apprend à le connaître, il devient super attachant. Je ne vous cache pas qu’il est assez difficile à décrire alors voilà une petite série d’adjectifs qui lui vont bien, prenez ceux qui vous parlent : bavard, énergique, râleur, blagueur, glandeur, exigent, franc, respectueux, honnête, curieux, festif, spontané, tétu, drôle, déterminé, mince, rieur.
C’est parti pour quelques échanges, au naturel toujours ! Une particularité quand même qui peut faire bizarre à la lecture, Sully possède une capacité que tout le monde n’a pas : celle de ne pas finir ses phrases. Pas d’inquiétudes donc, ce ne sont pas des erreurs de frappes, simplement les paroles d’un homme en pleine réflexion !

Présentation
Comment tu t’appelles ?
Je suis pas prêt pour ce genre de question. Faut que je dise quoi ? Sully.
Quel âge as-tu ?
J’ai euh... Faut dire l’âge que j’ai en vrai ? Officiellement j’ai 25 ans. Officieusement je tourne plus autour de 17, 14… pas des chiffres ronds.
Tu viens d’où ?
Je viens du ch’nord, de la campagne Avesnoise. Y a du maroilles, les gens sont sympas et y a la cheminée l’hiver. Y a des beaux paysages, on n’est pas loin de la Belgique et de l’Allemagne, y a de la bonne bière. Ouais c’est bien
Combien de frères et sœurs tu as ?
J’ai une grande sœur qui s’appelle Marlène, qui s’est mariée en juin l’année dernière, qui habite à Concarneau. On a 5 ans ½ de différence, ça fait une génération. On s’aimait pas quand on était petit, on se frappait. On s’aimait pas c’est ouf. Et plus on s’éloignait, plus on se rapprochait. Maintenant on est comme cul et chemise, mais c’est elle le cul.
Que fais-tu dans la vie ?
Je suis infirmier. Mon domaine de prédilection c’est tout ce qui est cancérologie, chimiothérapie, soins palliatifs. C’est un autre visage du métier que tout le monde ne peut pas faire. Être confronté à la mort, ou au moins à la souffrance physique ou psychologique. Faire des gestes techniques, je t’apprends et en 2 jours tu sais faire. Mais faire face à un schizophrène ou annoncer à qqn qu’il a un cancer… faut un peu plus quoi.
Faut quoi ?
Faut de l’écoute. De l’empathie, mais pas trop sinon ça te bouffe, juste ce qui faut pour essayer de soulager l’autre. Une présence, rien qu’une présence des fois. Et puis essayer de se détacher du rôle de soignant, faire comprendre aux gens qu’on n’est pas juste la blouse blanche qui vient poser une perf mais qu’on peut compter sur nous.
Qu’est-ce qui est le plus important pour toi dans la vie ?
Aimer et être aimé. Être heureux. Souvent quand on aime et qu’on est aimé, on est heureux. Essayer de vivre sa vie mais en (vagues avec la main) en symbiose avec ses valeurs. C’est dur des fois on veut vivre sa vie comme ça avec des valeurs et tout mais au quotidien, c’est pas facile. Mais quand t’arrives à vivre avec qui tu es et ce que tu veux faire en étant clair dans ta tête [fin de phrase en attente].
Quel est ton plus grand rêve ?
Ah ! Sauver le monde.
C’est compliqué comme question. Je sais pas moi. Ouai ça fait cliché de sauver le monde, je peux pas sauver le monde je sais mais bon, que le monde aille bien, aille mieux quoi. Tu vois la planète. Mais ça, c’est le rêve en gros tu vois, après y a des… Nan parce que… Mon plus grand rêve… Je vais pas dire que j’en ai pas, ça fait triste. J’y ai jamais vraiment réfléchi, mais en même temps un rêve ça se réfléchit pas. Mouai.
Qu’est-ce que tu aimes le plus manger ?
Aaaah. Je dirai bien la nourriture mais tu vas me dire « Mais encore ? » [info : j’ai rien dit du tout]. Genre mes plats préférés ? Ou quel type de nourriture ? On va dire que la question c’est : « Qu’est-ce que j’aime bien manger ? » Bon on va dire carbonade flamande, le welsh. Des plats typiques. C’est pas mal ça. Mais pas que du nord hein, j’aime bien les crêpes de Bretagne, les saucisses de Strasbourg, ah non pas ça, mais la choucroute. Ouai les plats typiques.
Qu’est-ce que tu détestes manger ?
Je vais pas dire les plats « pas typiques » ça fait bizarre. Je suis pas trop fan du goût des rognons. Le foie aussi je suis pas un grand fan. J’ai pas tout en tête.
Quelle est ta plus grande tristesse ?
C’est d’avoir perdu des êtres très chers de ma famille, dont un chien. Surtout mes grands-parents. J’en ai pas perdu des masses non plus. C’est triste en fait. C’est triste d’avoir perdu les liens que j’avais avec ces personnes, les prendre dans les bras, faire des bisous. Surtout ma grand-mère, elle est partie jeune et c’était quelqu’un d’extraordinaire.

Le volontariat et la Côte d'Ivoire
Qu’est-ce qui t’a amené au volontariat ?
4 mots : « LE DON DE SOI ». Me donner à l’autre. Dans tous les cas je vais recevoir et je pense qu’on reçoit beaucoup plus qu’on donne mais tu pars pas pour recevoir. Je suis déjà parti, une petite expérience humanitaire, c’était très court. Et puis le faire avec sa chérie c’est trop cool, faut trouver qqn qui veut partir pendant 2 ans quand même.
Au bout d’un an – ça a confirmé ce que je pensais : j’ai beaucoup plus reçu. C’est tellement un autre mode de vie que t’en prends plein la tête, t’emmagasines un max d’émotions, d’infos, de différences… Comparativement ce que je donne est minime. Mais on s’arrête pas là-dessus, on avance. Après pour nous, notre mission s’est arrêtée au bout d’un an et là c’est un autre mode de vie.
Ta mission s’est arrêtée ?
On a dû quitter notre mission à Odienné, on nous a imposé de quitter Odienné. Quitter nos amis, nos collègues. C’était dur. C’est long de s’habituer à un endroit, de s’y intégrer et au bout d’un an on se sentait vraiment bien, on était chez nous, dans notre cocon. On a essayé de créer un… Du coup devoir tout quitter brusquement, particulièrement l’orphelinat, c’était dur. Mais voilà c’est la vie qui avance et c’est comme ça. On a eu de la chance de vous trouver, ça serait pas pareil sinon. Là on est plus en mode les seuls blancs dans un coin paumé, on est en volontariat avec des potes quoi. Du coup faut tout recommencer, refaire des relations, c’est une autre mission sur le terrain… C’est pas pareil.
Raconte-moi Odienné
On était loin. Odienné est loin de tout. Pour nous c’était bien, on voulait pas d’une grande ville comme Abidjan. On était bien dans notre petite ville du Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire. On était, mis à part 1 personne, les 2 seuls blancs d’Odienné donc ça marque. Au début je me sentais différent des autres, de la population. J’étais un français qui débarquait. Mais on s’est très vite sentis intégrés par les collègues, c’est très chaleureux, les gens prennent soin de toi. On était dans notre cocon loin de tout.
Moi j’étais infirmier dans un dispensaire. Je faisais des soins : perfusion, injections, pansements. Mais là le relationnel est différent, déjà il y avait la barrière de la langue car peu de gens parlaient français. La relation est plus « on essaye de se comprendre » que « je suis là comme soutien ». Et puis on travaille avec beaucoup moins de moyens qu’en France donc faut t’adapter. Et j’étais aussi responsable des bébés de l’orphelinat : veiller à leur bonne santé physique et participer à leur développement [pour en savoir plus : https://celiaetsullyencotedivoire.wordpress.com/2020/01/02/souvenirs-arc-en-ciel/].
On trouvait le temps parfois très long parce qu’il y avait pas grand-chose à faire. A part 3 ou 4 trucs à faire, on a vite fait le tour. Les voyages coûtent chers, tout est loin donc les après-midis on les passait à la maison, on s’occupait en lisant, en regardant des films et des séries. On pouvait sortir le soir avec quelques amis quand même. On apprenait aussi à rien faire. Au début ça c’est compliqué, on pense que le temps doit toujours être occupé à quelque chose. Mais en fait on a appris à ne rien faire. Mais nous on n’arrive pas à ne rien faire comme les ivoiriens : ils s’assoient et ils attendent, ils ne font rien. Nous on va faire des trucs quand même, lire, regarder des films et séries… Bref.
Au niveau du couple, c’est comment de partir ?
Déjà trouver quelqu’un qui veut partir 2 ans avec toi ça court pas les rues. C’est un sacré questionnement à se faire, parce que là t’es à 2, loin de ta famille, de tes habitudes, dans un environnement que tu ne connais pas. C’est une épreuve mais positivement. Y a eu des tensions forcément, comme dans toute relation mais je trouve ça beau de partager ça avec la personne qu’on aime. Ça nous construit, ça solidifie, ça prouve qu’on a les mêmes valeurs, ça nous unit, ça nous fait grandir.
Qu’est-ce que tu aimes en Côte d’Ivoire ?
Y a Côte d’Ivoire et Côte d’Ivoire. Y a les grandes villes : Abidjan, Bouaké. Et encore Abidjan et Bouaké c’est différent. Y a Abidjan, Bouaké et le reste de la Côte d’Ivoire. La simplicité n’est pas la même dans les grandes villes. La Côte d’Ivoire pour moi ça me permet de moins me prendre la tête. C’est ça qui me plaît. Après j’aime bien le côté moins conventionnel, les relations sont plus naturelles. Tu passes dans la rue, les gens tu les connais pas, ils t’invitent à manger. Et puis aussi ce qui est bien, c’est le fait de partir dans un pays tellement différent du tien, ça bouscule, c’est bien pour la remise en question.
Ça remet quoi en question ?
Ma façon d’être. J’ai gagné en patience, parce que ici, t’as pas le choix. J’ai gagné aussi d’être plus naturel et simple. En France, un problème doit être réglé alors on va se prendre la tête, on va s’engueuler. On relativise ici sur nos conditions. En fait en France on se plaint d’aise. On se plaint de ce qu’on a alors qu’on a de la chance de l’avoir. Et se rendre compte du manque permet de relativiser. Les lardons par exemple, en France y en a partout. Ici y en a pas et du coup on en profite carrément plus quand y en a.
Qu’est-ce que tu n’aimes pas en Côte d’Ivoire ?
Ah. Ce côté un peu trop... Y a des fois c’est... Face à des situations... Comment dire. Des fois t’as un pb, pas forcément grave. En fait des fois c’est un peu du « je m’enfoutisme ». Ici rien n’est grave. C’est vrai mais des fois c’est un peu agaçant. Est-ce que c’est la mentalité européenne de prendre les choses au sérieux et régler les choses l’une après l’autre ? Mais quand t’as vraiment envie de régler un problème et que derrière on dit « c’est pas grave, on verra plus tard… ». Au travail c’est compliqué. Un manque de rigueur en fait c’est ça.
Un autre truc que j’aime pas (mais ça c’est un discours de blanc) : tout est rapport à l’argent. Ceux qui en ont, ceux qui n’en ont pas… Tout le monde est centré sur l’argent.
Un autre sujet c’est la place des relations, des hommes et des femmes. J’aime pas la position que l’homme possède ici. C’est une place supérieur à celle des femmes et ici c’est normal, t’as l’impression : l’homme est supérieur à la femme, c’est comme ça. C’est gênant des fois, ça se ressent. Du coup l’homme peut faire un peu ce qu’il veut parce que c’est lui qui a le pouvoir : il peut aller voir ailleurs, c’est pas grave c’est autorisé et au contraire, il en est même fier de s’en vanter. C’est ça que j’aime pas trop. Tous les hommes ne sont pas comme ça heureusement, certains respectent leur femme, ne se sentent pas supérieurs. Mais on voit plus de situation où l’homme a une place supérieure.

La conclusion
Si tu devais partir tout seul sur une île pour toujours avec seulement 3 choses, tu prendrais quoi ?
Je sais pas moi. [Temps de réflexion]
Rien, j’y vais comme ça. Advienne que pourra. Parce que je me dis que si je dois partir sur une île déserte, si c’était mon destin d’y être, rien pourra y changer donc autant y aller le plus naturellement possible. Vu que j’ai pas le droit d’emmener de chien.
Ça fait quoi d’être en coloc avec Paul et Camille ?
Ça fait des bébés. [rires] Non c’est vraiment cool parce qu’on s’entend super bien. Le côté vivre avec vous, y a pas de souci. On sait vivre ensemble. Mais le fait de ne plus avoir notre volontariat à nous deux, tout seuls, loin de tout. Du coup on part plus sur la même base. Mais c’était pas la question.
Non c’est cool, Paul fait souvent à manger et puis je vous aime bien, et puis vous arrivez à me supporter. Ouai je pense que c’est bien comme réponse.
Y a-t-il quelque chose que tu veux dire en plus ?
Je fais des bisous à tous ceux qui vont lire cette interview.
C’est sympa que tu fasses ça, l’interview.
Et il faut s’aimer les uns les autres, dixit le mec barbu [= Dieu].

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