Portrait #2 Raphaël
- CamilleEtPaul
- 11 nov. 2019
- 7 min de lecture
Qui sont les gens que l’on côtoie au quotidien ? A quoi aspirent-ils ? D’où viennent-ils ? Echanges avec notre entourage ivoirien : de nos co-volontaires à nos voisins en passant par nos collègues, nous vous partageons quelques rencontres marquantes de notre vie à Bouaké.
Je me lance donc pour vous présenter Raphaël ! Raphaël c'est un ami, un frère, un collègue. Un collègue puisque je travaille avec lui à l'Arche, dans la prise en charge de personnes avec handicap (handicap mental surtout). Il y fait un travail incroyable d'organisation, de soutien, de sensibilisation... Un bosseur et passionné de l'humain ! Un frère en Christ aussi, car nous partageons avec lui tous les dimanches la messe au Monastère Bénédictin Ste Marie de Bouaké. Et enfin un ami, avec qui nous aimons à passer du temps, à qui l'on apprend à jouer aux cartes pendant qu'il nous enseigne le Baoulé. Bref, c'est Raphaël.
Transcription d'un échange riche et naturel, à son image...

Questions facile pour commencer...
Comment t'appelles-tu ?
Kouassi Konan Raphaël. Nous, on a plus (+) que 3 noms. Kouassi c’est le nom de mon papa, Konan c’est le jour où je suis né [mercredi] et Raphaël c’est le nom de baptême.
Tu as quel âge ?
Bon moi je calcule pas vite mais je te dis je suis né en 1990.
Ah mais tu vas fêter tes 30 ans l'année prochaine ?
Oui, le 5 février 1990 ! (Grand sourire !)
Vous vivez donc presque en live la découverte du jour : Raphaël et Paul sont nés le même jour !
Tu viens d’où ?
Je viens de M’Bahiakro [80km à l'est de Bouaké]
Est-ce que tu as déjà habité là-bas ?
C’est mon village.
Ça veut dire quoi ?
C’est parce que c’est là que mes parents viennent. Que mes grands-parents sont nés. J’ai passé vraiment mon enfance à San Pedro [côte sud ouest du pays] parce que mes parents sont planteurs donc ils sont partis à la campagne pour aller cultiver cacao. Et café mais après les gens ont commencé à ne pas trop s’intéresser. Cacao est plus populaire.
Combien de frères et sœurs tu as ?
J’ai 2 sœurs et puis 8 frères. Donc 11, une équipe de football sans remplacement ! Bon on a remplacement parce que y a papa et maman qui sont là. Ce sont les entraîneurs. Je suis le 5e.
Ça fait quoi d'être 5ème sur 11 ?
Bon comme on choisit pas son rang... Pour moi je suis vraiment content du fait que j’ai des grands frères pour s’occuper de moi et puis après j’ai des petites sœurs et petits frères pour s’occuper. C’est un plaisir pour un africain de pas être trop devant ou trop derrière.
En Afrique, mon cousin c’est mon frère. Donc si je veux dire, je peux dire j’ai beaucoup [de frères et sœurs]. Et puis la polygamie est tellement développée. On peut dire j’ai tellement de frères, c’est vrai si le papa a peut-être 5 femmes ou alors 1 femme et les petites copines autour avec qui il a fait des enfants aussi. Souvent on parle des instituteurs et des militaires : quand ils ont travaillé quelque part, on suppose qu’ils laissent une femme et des enfants.
Moi c’est "même père même mère".
L'homme avant le travail
Que fais-tu dans la vie ?
Je travaille à l’Arche. Généralement je dis ça : avant de travailler, je suis d’abord ami avec les frères qui ont eu un handicap voilà. Et puis quand on rentre dans le cadre du travail, je travaille à l’Arche. Je suis le porte-parole de l’Atelier d’Eveil. Le "bouc-hémisphère", quand c’est mauvais, c’est pour moi. Responsable de l’Atelier d’Eveil. Je travaille aussi au petit foyer. Par moment je conduis les amis. Je dors au petit foyer
On peut dire que tu habites même ?
Oui c’est ça, j’habite au petit foyer. Ça fait 6 ans, depuis janvier 2013.
Qu’est-ce que tu aimes à l’Arche ?
Premièrement la sincérité de la personne avec un handicap. Parce que pour elle, si je t’aime pas elle t’aime pas [ = si elle t'aime pas, elle t'aime pas], si je suis fâché elle te salue pas, c’est clair. Et puis la simplicité. C’est pas donné à tout le monde à l’Arche mais c’est un truc que j’aime.
Y a-t-il des choses que tu n’aimes pas à l'Arche ?
Je trouve difficile c’est souvent on prend pas le temps d’analyser les choses. On donne une réponse et après c’est peut-être pas le mieux. On cherche pas toujours à comprendre bien les gens avant de répondre.
C’est spécifique à l’Arche ?
Non, mais c’est quelque chose que j’aime pas. Et pour une communauté c’est pas bon.

Qu’est-ce qui est le plus important pour toi dans la vie ?
Ce que je vais dire, c’est bizarre. Pour moi ce qui est le plus important c’est ce qu’on fait là. C’est être l’être humain, c’est tout.
Amen !
C’est ce qu’on fait là tu comprends. Le fait d’être ensemble. C’est ça.
Quel est ton plus grand rêve ?
Mon plus grand rêve, c’est de voir la société réfléchir autrement. De voir que je rentre dans cette vision de Jean Vanier qui dit que nous devons construire une société plus humaine où personne n’est de côté. C’est grand rêve hein, c’est pas petit petit.
Quelle est ta plus grande tristesse ?
Ma plus grande tristesse, c’est une réalité mais il faut le dire. Quand je suis limité. Quand je suis limité c’est peut-être apporter de l’aide à quelqu’un. Je sais que je peux le faire mais je veux pas. [ = quand quelqu'un refuse d'aider alors qu'il le pourrait]
Quelle est ta plus grande joie ?
Ma plus grande joie c’est te voir heureuse. (Rires et regards complices)
Je me suis adressé juste à toi mais c’est « voir l’autre heureux »
Ah tu sais, Jean Vanier, il pourrait dire pareil
Ah bon ? Non mais je l'ai pas dit là, c'est moi qui dis.
Les goûts et les couleurs
Qu’est-ce que tu aimes le plus manger ?
D’accord. Foutou [ = igname ou banane plantain pilé jusqu'à faire une pâte compacte]
Banane ou igname ?
Banane de préférence, mais foutou ça marche voilà. Avec sauce gnian-gnian ou pistache.
Ah sauce pistache on est d’accord là! Tu peux redire c’est quoi sauce gnian-gnian ?
Ça là comment on peut expliquer ça ? C’est aubergine plus petit, petit petit, le plus petit des aubergines, tout petit rond rond. C’est ce que j’aime vraiment. Et puis alloco voilà [= banane plantain frite en petits morceaux].

Qu’est-ce que tu détestes manger ?
Ce que je n’aime pas manger, la sauce « tianran » c’est une sauce sénoufo. On pile, c’est sauce qui tire. Tout ce qui tire je n’aime pas. Tu comprends "qui tire" ? (moi oui mais je vous explique quand même "sauce qui tire" = sauce gluante, parce que quand on prend avec les doigts ça s'étire)
Qu’est-ce que tu aimes en Côte d’Ivoire ?
La nature ivoirienne ça me plaît. Il fait pas trop chaud chaud chaud et puis il fait pas trop froid froid froid donc voilà. Et puis en tout cas ce que j’aime vraiment c’est le sens de l’humour. J’ai dit, l’ivoirien ne se fâche pas très vite. C’est rattaché aux alliances. A part les Bétés, chaque peuple a ses alliances. Donc les Baoulés par exemple quand il voit les Agnis, il peut les insulter mais c’est de l’amusement. Pour moi c’est ce qui fait la force de notre pays. C’est ce que j’aime. Les alliances ça nous rapproche de l’humanisme. C’est ce que j’aime dans mon beau pays.
Qu’est-ce que tu n’aimes pas en Côte d’Ivoire ?
C’est la politique voilà. C’est la chose que je n’aime pas dans mon pays. Je dis ça parce que la politique est venue détruire un peu les alliances. Aujourd’hui les gens sont plus rattachés à la politique, on se crée des palabres [= disputes], on oublie les alliances. Quand on était petit, on nous disait qu’un Baoulé ne peut pas taper, ne peut pas faire palabre avec Agni. Mais la politique aujourd’hui fait que on s’en fout. Que tu sois Agni ou Godié, le fait que tu n’es pas de mon parti, on peut tout faire. C’est pourquoi je dis que je n’aime pas la politique.
La conclusion
Si tu devais partir tout seul sur une île pour toujours avec seulement 3 choses, tu prendrais quoi ?
Je prends rien.
Pourquoi ?
Je crois en Dieu, je sais que je trouverai des choses sur place.
C’est bien. [...] C’est pas prudent mais c’est bien, tu aurais pu prendre machette ? [Ah la réponse de blanc...]
Pour moi, le fait de ne pas se protéger, on se protège plus. Tu vois ?
J’ai une image souvent : "si on demande à un enfant de soulever la table il va être content de faire, mais si on te demande, toi tu vas dire que tu peux pas c’est trop lourd. Parce que l’enfant là il sait que ses parents sont là et ils vont l’aider à soulever, mais toi tu comptes que sur ta force."
Y a-t-il quelque chose que tu veux nous partager encore ?
Si y a quelque chose que je voulais vous dire à vous, c’est dire : apprenez le Baoulé, apprenez à comprendre parce que le Baoulé, excusez-moi de le dire comme ça, mais le Baoulé réfléchit toujours à ce qui va arriver demain avant de poser l’acte. Est-ce que si je fais ça, ça va pas engendrer autre chose ? Donc il analyse.
Et puis merci à vous de quitter la grande France pour venir à Bouaké. Je sais que vous avez entendu parler des guerres, des problèmes. Vous avez accepté de quitter la France, de quitter vos parents. Et en même temps quand vous êtes arrivés, vous devez aller chercher l’ambassadeur, les autres blancs… mais vous, vous vous êtes approchés des africains. Pour moi c’est ce qui fait grandir. Voilà.
Et puis y a quoi encore ? Si y a quelque chose à dire encore je te dirai, on peut compléter non ? (oui, y a pas de problème)

Pour conclure en beauté, petite citation de Raphaël lui-même, quand je lui explique qu'il a un droit de regard sur cet article et l'intégralité de son contenu...
"Ce qui est dit, si mille personnes me posent la question, je dirais la même chose."
Merci pour cette interview , et pour la simplicité et le sourire de Raphaël ! Avec le souvenir de cette journée à l'Arche de Bouaké.