Paquinou à Brobo
- CamilleEtPaul
- 28 avr. 2019
- 7 min de lecture
Non ce titre n’est pas une insulte, ce n’est pas non plus une expression locale (pour les petits malins) ni un plat (pour les gourmands). Paquinou est la traduction Baoulé de Pâques, tout simplement, et Brobo est un village à une 20 de km de Bouaké.
Paquinou, ça fait 6 mois qu’on nous en parle – sur 6 mois de présence. Paquinou c’est LA fête traditionnelle pour le peuple Baoulé. Celle où tous les citadins d’Abidjan et de Bouaké rentrent dans leur famille au village, celle où l’on mange les plats traditionnels, celle où l’on s’habille avec les pagnes traditionnels pour réaliser des danses traditionnelles. Bref, le village Baoulé c’est The Place To Be à Paquinou.

La semaine sainte
Nous nous préparons donc doucement à ce fameux Paquinou à travers le discours des uns et des autres, sans pour autant voir beaucoup de préparatifs ou de décorations spécifiques (comme il y avait à Noël par exemple). La seule préparation visible est pour nous celle des pubs d'une part mais aussi des paroisses et de l’Eglise, à savoir le Carême puis le triduum pascal qui nous emmène à la Résurrection. Par exemple, dans les paroisses sont organisés des pèlerinages avec des chemins de croix, temps de louange ou d’adoration jusque dans les monastères alentours ou autres lieux assez grands et ce tout au long du Carême.

Le jeudi saint ne diffère pas tellement de ce que nous pouvons vivre en Europe dans la forme, si ce n’est ces belles tenues colorées dans des Eglises bien remplies. Seule particularité pour nous, pendant la célébration a lieu un énorme orage coupant l’électricité des lieux. Nous faisons une partie de la messe à la lumière des bougies, sans sonorisation (ouf, elle est souvent bien forte et saturée) avec les rafales de vent qui entrent dans l’Eglise… Une célébration un peu hors du temps, où les gens restent tous à la fin jusqu’à ce que la pluie s’arrête (habitant à 200m, nous avons pu rentrer malgré la pluie).
Le vendredi saint est marqué par le chemin de croix chez les catholiques et la paroisse du CHU où nous habitons évidemment n’y coupe pas. Et de fait, il est difficile pour nous d’y couper aussi puisque le chemin de croix fait le tour du CHU en passant littéralement devant notre porte. Paul se lance donc et revient me chercher tout de suite « Il faut que tu voies ça ! Ils jouent le truc ! ». Et avec la foule et le prêtre, il y a effectivement des acteurs, déguisés en soldat avec des bouts de carton, en Jésus ou autre qui jouent chaque station ainsi que le déplacement de la croix portée par Jésus au fur et à mesure. Pas de violences réelles évidemment mais les jeunes acteurs soldats s’en donnent à cœur joie pour faire semblant de frapper Jésus (tapent comme des malades sur la croix pour faire du bruit), de l’insulter ou lui donner des ordres (Salop ! Allez, debout !...). Le jeu va bien jusqu'à la crucifixion, avec un acteur accroché à un croix grandeur nature, ouf ils ne l'ont quand même pas cloué ! Ça donne un côté plus concret au chemin de croix et un peu joyeux également : difficile de ne pas rigoler du jeu des acteurs de temps en temps.

Le WE de Pâques
Pour vivre donc un « vrai » Paquinou nous avons dû quitter la grande ville de Bouaké. Nos voisins, Elysée et Salomon, avec qui nous partageons le terrain, nous ont gentiment emmenés dans leur famille au village de Brobo, à environ 20 km à l’est de Bouaké.
Nous ne savons pas du tout à quoi nous attendre. Elysée nous informe que nous partons samedi vers 15h, que nous dormirons là-bas et que nous pourrons rentrer le dimanche. Il ajoute, ravi, qu’un ami à lui a trouvé un cabri et que nous pourrons le tuer et trier les morceaux nous-mêmes le dimanche ! Activité originale, pour laquelle j'avoue que ma première réaction intérieure a été "Mais je veux rien tuer moi !". Mais nous sommes tellement contents de partir avec Elysée et Salomon et de partager Pâques avec eux que nous nous laissons porter.
Nous sommes donc prêts le samedi à 15h et nous partons finalement, vive l’Afrique, à 18h30 avec Elysée. Nous embarquons dans un Gbaka (ou massa selon les gens), un genre d’utilitaire transformé avec une vingtaine de siège à l’intérieur. C’est le mode de transport le plus commun entre les villages, et entre les quartiers d’Abidjan. Nous arrivons dans la maison de famille des voisins : une grande cour fermée, propre, entourée d’une petite maison à droite et de plusieurs chambres à gauche. Il faut respecter le protocole : nous nous asseyons, on nous donne de l’eau à boire dans un gobelet que nous nous passons puis on nous demande « Quelles sont les nouvelles ? », ce à quoi il faut répondre « Rien de grave, nous sommes venus pour… ». Ce protocole n’est pas propre aux villages, il est utilisé dès que quelqu’un est accueilli quelque part, nous le connaissons donc bien.
Elysée nous emmène ensuite à l’Eglise du village pour la Veillée Pascale, à 20h. Il n’y a personne. Nous craignons un instant de ne pas pouvoir vivre de Veillée Pascale (ce qui reviendrait à ne pas vivre Pâques pour nous, donc un peu dur) et finalement le monsieur sur place nous explique que c’est à 21h mais qu'ils ont annoncé plus tôt pour que les gens soient à l’heure - ils se connaissent bien quand même... Cela nous donne le temps de manger un coup avant la messe. La Veillée Pascale est une messe naturellement assez longue, d’au minimum 5 lectures en plus des baptêmes multiples et la nôtre nous paraîtra interminable. Pas de baptême pour nous (ouf !) mais l’ensemble des lectures seront lues en Baoulé puis en français. Cela donne donc 9 lectures x 2… A écouter derrière un mur sans fenêtre car l’église est pleine… Bref, une bonne sieste (sainte !) pour tous les deux.
Petite soirée ensuite avec Elysée et Salomon autour d’une bière et nous filons nous coucher vers 2h dans une petite maison qui semble partiellement utilisée dans laquelle nos chers voisins nous installent. Le luxe pour une nuit dans un village : nous avons un matelas, de l’électricité et de l’eau.

Le réveil est prévu pour 6h, afin de tuer le cabri rapidement pour que les cuisinières aient le temps de le cuire dans la matinée. SMS reçu à 7h : « Vous pouvez dormir encore 2h, je vais au culte » (Elysée et Salomon sont protestants). Finalement, ils débarquent vers 11h, avec le petit déjeuner : les meilleurs morceaux du cabri. Il se trouve que les amis ont géré le cabri sans nous vers 5h du matin, c'est pourquoi on nous offre les meilleurs morceaux : les tripes.
C'est notre tout premier petit déjeuner aux tripes, et tout en choisissant soigneusement les morceaux que nous mangeons, nous sommes contents de le partager avec Elysée et Salomon.
Elysée nous embarque ensuite sur un tour en moto de Brobo, pour nous faire visiter. Brobo est en fait une petite ville constituée de nombreux petits villages plus ou moins éloignés les uns des autres. Il nous emmène particulièrement sur 2 lieux : la mairie et… la future nouvelle station essence ! Un bâtiment en béton, tout neuf et bleu, fermé. Il va sans dire qu’en fait nous sommes surtout ébahis par les paysages alentour, les villages et les couleurs de la nature.

Nous enchaînons ensuite avec le déjeuner, pour lequel vous devinez le plat du jour : du cabri ! Accompagné des plats traditionnels que sont l’attiéké, le riz et le foutou. Habitués à ce genre de plat, nous y prenons maintenant plaisir. Puis Salomon nous emmène, avec un oncle à eux, dans un village proche pour un match de foot intervillages.
Le dimanche au village
Nous arrivons au village, on nous installe dans une petit maison, on nous donne à boire, les nouvelles… Et nous comprenons au fur et à mesure des conversations (en Baoulé évidemment) qu’en fait personne du match n'est encore arrivé. Effectivement, il y aurait déjà eu un raté où tout le monde serait venu pour rien donc ce coup-ci les gens ont préféré ne pas venir jusqu'à ce qu'on leur dise que le match avait bien lieu. Qu’à cela ne tienne, puisqu’on est là, ils vont prévenir les joueurs et les gens. Nous sommes ensuite présentés à plusieurs personnes : le chef du village, le conseil du village... Nous comprenons peu à peu qu’il y a derrière ce match également d’autres enjeux, notamment politiques en vu d'élections à venir. Après de nombreuses discussions, un conseil de village, des cadeaux divers échangés – dont 1 poulet - et un repas offert, le match démarrera vers 17h30 et il sera écourté pour éviter de jouer de nuit. Il faut également savoir qu’au fur et à mesure de l’après-midi nous sommes présentés comme les français, puis les amis et à la fin même les collaborateurs de l’oncle. Etant les seuls blancs dans le coin, nous sommes évidemment mis en avant : Paul tirera le ballon qui lance le match, je suis demandée pour remettre la coupe au vainqueur et nous serons sur toutes les photos officielles du jour.

A la fin de la journée, Salomon accepte de nous faire visiter un peu le village après le match. Petit tour pendant lequel il nous explique à quoi sert tel objet, pourquoi fait-on tel autre etc. Il va sans dire que notre curiosité et parfois notre étonnement l'amusent pas mal.
Fatigués mais vraiment heureux de ce we, nous rentrons tranquillement le dimanche soir à la maison, mûrs pour une bonne nuit de sommeil !

Et donc, Paquinou ?
Au final, ce fut un we riche de découvertes et de fête pour nous mais nous n’avons vu nulle part de tenues ou de danses traditionnelles. Les autres volontaires de Bouaké constateront la même chose : les plats traditionnels sont bien présents (ils le sont aussi le reste de l’année) mais tout ce qu’on nous avait décrit comme étant la grande fête n’a pas été bien visible pour nous.
En en rediscutant avec les voisins, ils nous confirmeront qu’aujourd’hui, Paquinou c’est la grande fête parce que les familles, éparpillées le reste de l’année, se retrouvent toutes au village essentiellement.
Super l'article Paquinou, merci de partager votre vécu
Quelle richesse dans cette diversité !
On vous aime !