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Mission Ortho #2 Le handicap dans les mentalités ivoiriennes


On se dit parfois en France que le handicap n’est pas bien perçu, n’est pas toujours reconnu, que les personnes handicapées sont exclues. Venir travailler à Bouaké, c’est apprendre à relativiser.


Le 20 novembre, à l’Arche, était organisée une « Journée de sensibilisation au handicap ». Étaient invités à intervenir : le Pr Koua, psychiatre, le Pr Kouassi, médecin ORL, et moi-même ; matinée sous la forme d’une grande table ronde. De nombreux parents d’enfants handicapés étaient présents ainsi que quelques représentants d’associations ou d’aides sociales. Le lendemain, une journée de consultation était proposée. Les parents pouvaient alors consulter un pédopsychiatre ou psychiatre afin d’échanger sur le handicap de leur enfant, éventuellement se faire prescrire des bilans complémentaires ou un traitement.


Retour sur ces deux jours, qui m’ont emmenée à la découverte du handicap à travers des yeux de parents et de médecins ivoiriens.


La journée de consultation - Elle commence à 9h, donc tout le monde vient à 9h et on enchaîne les rendez-vous jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne. Certaines sont arrivés à 9h30 et sont passés en rdv vers 15h !


Dialogues entre mamans et médecins


- "Mon bébé ne pleurait pas quand il est né. On nous a laissé le ramener à la maison, mais il ne pleurait toujours pas. On a pincé, secoué, embêté pour qu’il pleure. Le grand-père dit qu’il faut l’accompagner, que c’est enfant sorcier. Aujourd’hui, il a plusieurs mois, il tient pas sa tête, il est tout raide. Il fait oiseau parfois. Le grand-père dit que c’est pas un homme mais le papa ne veut pas qu’il le prenne.

- Et toi, tu penses que c’est un homme ton bébé ?

- Mais le grand-père dit que c’est pas un homme.

- Et toi, tu en penses quoi ?

- "


Faire oiseau est la manière de décrire une crise d’épilepsie en dehors du monde médical. Les gens ne savent pas ce que cela signifie ni ce qu’il faut faire. Quand une crise survient, il n’y a pas le réflexe de l’emmener voir un médecin. On va prier, voir le féticheur, éventuellement lui donner du paracétamol s’il y en a. Il n’y a aucune conscience des conséquences que peuvent avoir les crises d’épilepsie or, l’épilepsie est très répandue ici. Elle semble être à l’origine de nombreux handicaps lourds.

Petit détail : ici l'épilepsie, tout comme les handicaps globaux (IMC notamment) fait partie du champ de la pédopsychiatrie en termes de prise en charge.


Les enfants sorciers, c’est l’appellation donnée aux bébés qui naissent différents, malformés, ou qui ne réagissent pas. Les gens partent du principe que le handicap n’est pas là par hasard. Si l’enfant est handicapé c’est (selon les situations) parce que quelqu’un a jeté un sort à la famille ou c’est parce que le mari a mal choisi sa femme et que celle-ci n’a pas un bon ventre (dixit la belle-maman), ça peut aussi être en punition d’un mauvais comportement des parents ou une vengeance des esprits, ça peut être parce que la maman n’a pas fait certains rituels pendant sa grossesse… Beaucoup de raisons expliquent donc pour eux la survenue d’un handicap, avec des explications souvent culpabilisantes pour les parents ou qui remettent la faute sur quelqu’un d’extérieur, mal intentionné. Ces raisons varient et sont données par les grands-parents, le féticheur, l’accoucheuse, les gens du village etc. Ces enfants sorciers ne sont pas considérés comme des êtres humains.


Accompagner un enfant, cela signifie l’emmener dans la nature ou dans la rivière et le laisser là. C’est le sort réservé à de nombreux bébés différents. Les mamans savent ce que cela signifie quand on leur propose d’accompagner leur bébé. Elles savent au fond que cela signifie le tuer, mais elles se protègent de cela, notamment en se disant que, finalement, ce n’est pas un être humain. On ne dit pas que l’on tue l’enfant, on se dit qu’il ne peut vivre avec les hommes n’en étant pas un. Alors on va le laisser vivre avec les animaux.


 


Une famille en consultation avec le psychiatre, accompagnée par un membre de l'Arche. (Et effectivement, nous n'avons pas la même notion de "secret médical" entre français et ivoiriens...)

- "Vous êtes la maman ?

- Non, la maman elle est partie, c’est la fille de mon petit frère.

- Comment s’est passé la grossesse et l’accouchement ?

- Je ne sais pas. Je ne sais pas comment elle est comme ça. Elle peut pas marcher et elle a du mal à manger. Elle tousse beaucoup quand elle mange, jusqu’à vomir des fois.

- Quel âge elle a ?

- Je ne sais pas, peut-être 12 ans."


Quand les familles « n’accompagnent » pas l’enfant, ils peuvent l’abandonner quelque part, dans le meilleur des cas chez quelqu’un de confiance qui peut s’en occuper (tante, grand-mère…), sinon dans la rue. Ils peuvent aussi aller voir le féticheur du village. Celui-ci va donner une explication (parmi celles évoquées plus haut) et il propose des rituels. Les rituels sont variés : ingérer un produit, se frotter avec telle feuille, s’enduire de ceci, respirer telle odeur… Cela arrive aussi quand un enfant ordinaire tombe malade. Quand son « corps chauffe » (qu’il a de la fièvre), on l’enduit de talc et on attend que la fièvre baisse.


 

- "Quand il avait quelques mois, il a été opéré 4 fois à tel hôpital.

- Il a été opéré de quoi ?

- Je ne sais pas, on ne m’a pas dit."


Quand un enfant est malade, qu’il est hospitalisé ou opéré, les parents n’ont pas le réflexe de demander ce que c’est. Certains ne cherchent pas à comprendre et ne savent pas ce que les médecins ont fait à leur enfant, ce qu’il avait. Cela paraît très étrange quand on l’observe avec des lunettes de français. Est-ce qu’ils n’osent pas demander parce qu’ils ont peur de ne pas comprendre ? Est-ce qu’ils ne demandent pas parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas à savoir ? Parce qu'ils n'y pensent pas ? De leur côté, les médecins ne semblent pas non plus chercher à expliquer aux parents ce qu’ils observent ou font à leur enfant.


A titre d'exemple, lors des consultations, nous avons rencontré plusieurs enfants trisomiques. Ces enfants avaient 2, 5 ou 10 ans. La plupart avaient déjà eu des suivis à l’hôpital ou une rééducation dans un centre donc avaient déjà vus des spécialistes de l'enfance. Mais personne n’avait jamais dit à leurs parents qu’ils étaient trisomiques et ce que cela signifiait... Les médecins manquent-ils de formation pour reconnaître les handicaps chez l’enfant ? Manquent-ils de formation dans la guidance parentale ? Considère-t-on que c'est uniquement au spécialiste de connaître ces informations ? Est-ce des habitudes uniquement occidentales de vouloir tout savoir, tout comprendre ? La médecine peut-elle avancer sans dialogue entre les patients et les soignants ?


Ce phénomène semble complètement accepté dans la société : les médecins font leur travail sans l’expliquer et les parents ne demandent pas ce qu’ils font. Lors d’une consultation en binôme avec un interne en pédopsychiatrie, alors que le médecin explique à une maman le diagnostic de son enfant, de manière précise mais succincte, il se tourne vers moi et me dit « Tu vois, je parle beaucoup, je fais comme les blancs, j’explique. Je parle trop ? ».


La fatigue se fait sentir à 14h après avoir enchaîné une dizaine de consultations, sans pause évidemment.


Changer les mentalités ?


Au milieu de tout ça, la structure de l’Arche à Bouaké fait figure d’OVNI. Voilà un lieu où on parle de ces « enfants-sorciers » comme d’enfants normaux, un lieu où on veut avant tout les aimer pour ce qu’ils sont et les aider à avancer au rythme où ils le peuvent. L’Arche n’est pas la seule structure, la pouponnière de Bouaké et d’autres centres accueillent aussi ces enfants avec bienveillance au-delà de toutes les craintes des familles et des traditions des villages.




C’est l’Arche qui a été à l’origine de cette table ronde sur le handicap où, pour la première fois semble-t-il, des médecins et des parents se retrouvaient pour parler de cela, essayer de comprendre, de partager les vécus des uns et des autres, poser leurs questions.

Il a pu être dit qu’un enfant, même handicapé, est un être humain. Que l’épilepsie n’est pas le fait d’un mauvais esprit mais le fait d’un problème au niveau du cerveau. Que ne pas soigner correctement une crise ou une fièvre chez l’enfant pouvait avoir de lourdes conséquences. Que l’on pouvait traiter l’épilepsie et limiter ses conséquences. Que les accouchements ou les grossesses qui se passaient mal pouvaient également avoir des conséquences sur le développement de l’enfant, d’où l’importance d’un suivi médical. Que l’on peut communiquer et faire des choses avec un enfant handicapé. Que ce n’est pas la faute des parents, ni de la voisine… J’ai réalisé à quel point ces paroles étaient fondamentales, à quel point elles surprenaient et soulageaient simultanément les parents, à quel point l’être humain est fragile quand il est isolé, à quel point la médecine avançait dans certaines cultures en laissant de côté les traditions et les populations les plus reculées. Comment concilier les soins médicaux avec les cultures et traditions africaines ? Comment avancer ensemble vers un mieux être de ces personnes handicapées mises en marge de la société tout en respectant la culture ivoirienne ?


Une jeune étudiante, représentante d’une association étudiante, venue par hasard suite à une pub entendue à la radio, a pris la parole à la fin de cet événement. Elle a exprimé ne pas être concernée directement par le handicap et être extrêmement surprise de tout ce qui a pu être avancé dans les échanges. Elle a terminé par :

"Mais comment se fait-il que personne ne soit au courant de tout ça ?"

4件のコメント


Sully Valet
Sully Valet
2019年1月30日

"Mais comment se fait-il que personne ne soit au courant de tout ça ?" CQFD.

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bguimard
2019年1月03日

Même si l'on sait qu'il y a des disparités énormes sur notre planète, ton récit les rend bien concrètes.... Entre notre société surmédicalisée et des endroits où les croyances sont reines (y compris dans certaines campagnes françaises), il y a un juste milieu à trouver avec l'humain au centre. Votre mission prend tout son sens !

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adankens
2018年12月14日

Merci de nous ouvrir les yeux...

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clairemilletroginski
2018年12月06日

Waouh...ça laisse sans voix... quand on sait la rudesse de la vie dans de tels pays,et les encouragements à « accompagner »leur enfant...

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Merci

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