Les crêpes au piment n°2 /Maquis & autres accompagnements...
- Paul Roginski
- 16 déc. 2018
- 5 min de lecture
Heureux de vous retrouver pour ce second numéro des Crêpes au Piment !
Aujourd’hui nous allons parler Attiéké, Tchièp, Aloko, et FOUTOU…
Tout d’abord, en réponse aux milliers de courriers reçus par notre secrétariat a propos des maquis (bistros locaux présentés dans le premier article), nous avons pris des risques immenses et obtenu à la sueur de notre front de VÉRITABLES images de maquis :


Illustrons la scène avec un dialogue entendu ce midi-là. La serveuse vient prendre commande, c'est notre responsable qui dialogue avec elle :
- [Le responsable] « Y a quoi ?
- [La serveuse]Y a biche, y a chat...
- Y a pas écureuil ?
- Non y a pas écureuil.
- Bon alors tu nous mets deux chats - pour notre responsable et son chauffeur -. Bon… eux -Camille et moi - ils sont pas encore prêts… Il faut leur mettre agouti. »

Pour info l’« agouti » désigne le gros rongeur présenté sur l’affiche « Allo Viande de Brouse » dans le premier article :
Pour ce qui est du chat, il est fréquent d’en trouver ici, tout comme du chien par ailleurs.
Notre responsable soucieux de ne pas trop nous écœurer, nous assure que les deux félins servis à ce déjeuner sont des chats sauvages...

Bon, l’avantage c’est que quelle que soit la viande que vous commandez, vous vous verrez toujours apporter un plat du même aspect, que voici :
Difficile dès lors d’identifier ce que l’on a dans son auge si l’on en a jamais goûté auparavant, du moins jusqu’au moment de saisir de sa fourchette un morceau caractéristique de l’animal...
En annexe du plat sus-décrit, vous découvrirez une assiette dont le contenu variera selon vos goûts et les possibilités du maquis. Alors ne tournons pas autour du mortier et commençons avec le plus grand des classiques, l’évidence des évidences : l’attiéké.
L’attiéké est l’accompagnement par défaut dans les points de restauration de Bouaké (incluant les maquis, les restaurants, les cuisines de rue… ⇐ nous reparlerons de ces cuisines dans un prochain article). A titre d’illustration, je pense que si un ivoirien venait séjourner en Bretagne, il pourrait tenir une chronique intitulée « L’attiéké au beurre salé ». Mais de quoi s’agit-il exactement ? Partons du principe que vous voyez ce qu’est du manioc (cela va sans dire pour les spectateurs de Koh-Lanta). Et bien par broyage de cette tubercule, on forme une sorte de semoule ; semoule que l’on va laisser fermenter environ deux jours puis faire sécher lentement au soleil. Il n’est pas rare d’en voir sécher dans la rue, posé sur une bâche plastique contre le sol.
Une fois cuit il a un goût de semoule relativement neutre à nos papilles européennes. Toutefois, pas question de le manger négligemment !
L’attiéké ne se mange que d’une seule manière, qu’il faut absolument connaître si l’on entend survivre en Côte d’Ivoire :
- Tout d’abord, laissez les couverts que vous pourriez avoir (après tout si vous êtes blancs il y a plus de chances qu’on vous en offre), et munissez vous de votre main droite (la gauche ne s’utilisant ni pour manger, ni pour saluer, puisque réservée à l’hygiène fécale).
- Ensuite, saisissez une petite poignée d’attiéké et pressez-la pour en faire une boule dans le creux de votre main.
- Tout en la gardant dans votre main, ajoutez-y un morceau de viande ou de poisson
- Portez l’ensemble à votre bouche sans faire éclater la boule et c’est gagné !
Je m’étendrai moins sur certains accompagnements fréquemment consommés, afin de ne pas transformer cet article en mémoire, et parce que certains peuvent nous sembler plus familiers comme le riz blanc (toujours très bien préparé ici), le Tchèp(e) (riz préparé selon une recette sénégalaise -plein d’huile c’est une merveille-), voire même dans certains maquis des frites, ou dans le cadre familial et urbain, des pâtes.
Cependant je ne pourrais prétendre présenter même sommairement les accompagnements habituels de Bouaké, sans évoquer deux légumes : la banane plantain et l’igname. Lorsqu’elle n’est pas simplement vendue grillée sur le bord d’un trottoir, la banane plantain peut être servie en aloko, c’est à dire débitée en rondelles épaisses, et frite. Le résultat est caramélisé à souhait !

Concernant l’igname, là aussi il s’agit d’une institution. C’est encore une très grosse tubercule à la chaire collante. Classiquement on la coupe en morceaux, qui une fois cuits à l’eau peuvent facilement se faire passer pour des pommes de terre assez cuites. Mais la principale source de popularité de l’igname vient d’un autre mode de préparation…
Mesdames mesdemoiselles messieurs, j’ai l’honneur et le privilège de vous présenter ce qui est sans doute le plat le plus prisé de Côte d’Ivoire….. j’ai nommé : le FOUTOU D’IGNAME !!! (oui d’igname parce qu’il est éventuellement possible d’en préparer à partir du manioc).
Mais comment parler de cette nourriture si… exotique ?
La première fois que j’en ai vu servi à table j’ai considéré que la description la plus vraisemblable qu’on puisse en faire en se basant sur un plat connu chez nous serait
une sorte d’omelette, très cuite, et en boule...
Mais la comparaison révèle rapidement ses limites. La chose est jaune d’or, élastique, et cuite de manière homogène dans toute son épaisseur… voyez plutôt :
Le produit résulte d’un long travail de l’igname au mortier et au pilon, que seules les femmes semblent maîtriser. Une fois atteint le stade de chewing-gum, il est mis en boule et cuit. Gustativement parlant… et bien… j’ai rapidement retenu le nom « foutou » en l’associant au mot « foutu » ! Cela donne quelque chose comme un goût de purée, mais extrêmement épaisse et élastique, dont trois bouchées vous calent pour la journée, mais que les gens d’ici ont la fâcheuse habitude de servir en portion énorme. Et au-delà du fait que notre estomac n’est pas adapté à une telle ration, la consommation du foutou présente un défi supplémentaire pour nous européens. Et ce défi ne peut être relevé par une quelconque technique, comme dans le cas de l’attiéké : il s’agit ici d’un défi anatomique ! En effet, une fois « mâché » tant bien que mal et envoyé en direction de l’estomac, le foutou se colle au fond de la gorge et rend périlleuse sa déglutition.. Tant et si bien, que nous avons dû nous résoudre au seul secours existant en la matière, valable également pour le piment (auquel nous consacrerons sans doute quelques lignes dans un prochain article)… Il s’agit bien entendu de la bière ! Rien n’y fait, sans une bière à portée de main, nul ne saura faire descendre votre foutou à moins d’être soi-même ivoirien.
Et cette solution nous fait toucher du doigt un autre monument du pays, qu’est là bière, et qu’il serait bien trop long d’aborder ici tellement la place de celle-ci est étonnante. Je laisse donc la marmite sur le feu jusqu’au prochain article qui sera entièrement consacré à la BOISSON !
Sur ce : à vos pilons et portez vous bien !
super interessant, je viens de le lire avec Louise et Marianne, ça permet de vous suivre dans le quotidien de base ! et ça fait très plaisir ! Merci et on attend la suite avec impatience. Bises affectueuses à vous deux Manou